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La Rose dans la vallée
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16 avril 2022

En finir avec le psychodrame de la présidentielle

Notre régime présidentiel aboutit à une concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne. Sans l’abandonner, des réformes sont envisageables pour mettre fin à cette spécificité française.

par Jean Quatremer, correspondant européen

publié le 15 avril 2022 à 15h14

Avec la qualification, pour la troisième fois depuis 2002, d’un leader d’extrême droite pour le second tour de la présidentielle, cette élection s’est transformée en un choix entre, non pas deux partis de gouvernement, mais entre deux régimes, l’un républicain, libéral et européen, l’autre autocratique, illibéral et nationaliste. La démocratie peut-elle ainsi être remise en cause sur un coup de dé tous les cinq ans en sachant qu’un jour où l’autre un ou une populiste d’extrême droite ou de gauche radicale finira par arriver au pouvoir, puisque c’est à cela que se réduit aujourd’hui l’opposition en France ?

Il s’agit d’une spécificité française, car dans les autres démocraties occidentales, il est rare qu’une élection emporte de telles conséquences, y compris lorsque des partis populistes accèdent au pouvoir, tout simplement parce qu’il s’agit de démocraties parlementaires dotées de contrepouvoirs solides et que le système électoral soit élimine les extrêmes (comme au Royaume-Uni) soit oblige les partis à s’allier entre eux et à trouver des compromis.

Royauté élective

En revanche, le régime présidentiel français, créé par la constitution de la Ve République, aboutit à une concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne dont même le président américain ne pourrait rêver, puisque le président de la République française, politiquement irresponsable durant cinq ans, s’appuie sur une majorité qui lui doit tout à l’Assemblée nationale, le Sénat n’ayant (presque) aucun pouvoir. La crise du Covid-19 en a donné une illustration paroxystique puisque le chef de l’Etat a pu décider seul de suspendre ou de limiter la plupart des libertés fondamentales sans en référer à personne, la justice constitutionnelle et administrative ayant renoncé à exercer le moindre contrôle pour ne pas entraver l’action de l’exécutif au nom de «l’urgence sanitaire», en réalité un état d’exception qui tend à devenir la règle. Il est d’ailleurs symbolique que la campagne de 2022 se déroule, sans aucune raison objective, sous un régime d’état d’urgence, ce qui est sans précédent dans l’histoire de la République et sans équivalent en Occident.

Les travers de ce régime présidentiel ont été gravement accentués par le passage du septennat au quinquennat et surtout l’inversion du calendrier électoral. Le premier, voulu à la fois par Jacques Chirac et Lionel Jospin, a été créé à la suite du référendum de 2000 qui a vu une abstention massive (près de 70%) et un nombre record de bulletins blancs ou nuls (16%). Dans une démocratie fonctionnelle, la réforme aurait dû être abandonnée vu le peu d’adhésion populaire, ce qui n’a pas été le cas. Mais, plus grave, cette réforme a été suivie, en 2002, par l’inversion du calendrier électoral afin que les législatives succèdent à la présidentielle, ce qui fait dépendre les députés du président élu, et rendait ainsi difficile une absence de majorité (en 2017, les Français se sont d’ailleurs massivement abstenus alors qu’ils auraient pu obliger Emmanuel Macron à une cohabitation). Or, le septennat et le décrochage automatique des législatives qu’il implique, sauf dissolution anticipée, peuvent déboucher sur des périodes de cohabitation (François Mitterrand entre 1986 et 1988 puis entre 1993 et 1995, Jacques Chirac entre 1997 et 2002) qui évite cette concentration excessive des pouvoirs. A partir de 2002, on est donc passé d’un régime présidentiel à un régime hyperprésidentiel ou à une royauté élective qui laisse les mains libres au locataire de l’Elysée. Il est donc urgent de sortir de cette concentration des pouvoirs, seul moyen d’éviter des psychodrames à répétition.

Véritable contrepouvoir

Bien sûr, l’idéal serait de revenir à un régime parlementaire dans lequel le président inaugurerait les chrysanthèmes. Mais ne rêvons pas. Sans abandonner le régime présidentiel, plusieurs réformes sont envisageables. On pourrait, par exemple, inverser le calendrier électoral (ce qui nécessite une simple loi organique) afin que ce soit le président qui procède du Parlement et non l’inverse. Il serait imaginable d’aller plus loin en modifiant la Constitution afin de revenir au septennat, de supprimer la possibilité de dissoudre l’Assemblée et de donner au Parlement la maîtrise de son ordre du jour. Dans cette configuration, il serait logique que le Premier ministre, dans le cadre d’une Assemblée nationale qui deviendrait ainsi indépendante du chef de l’Etat, soit le chef des armées, sauf si on passe à un régime présidentiel à l’américaine qui permettrait de couper les liens entre les branches législative et exécutive. Il faudrait évidemment injecter une dose massive de proportionnelle afin d’éviter la domination d’un seul parti et que toutes les forces politiques soient représentées afin de les contraindre à faire des compromis.

Le pouvoir judiciaire devrait aussi être renforcé afin de créer un véritable contrepouvoir autonome. Ainsi, la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel reviendrait in fine au seul Parlement sur proposition du chef de l’Etat. Cela éviterait qu’on y envoie des obligés qui n’ont guère de compétences juridiques… De même, le Conseil d’Etat, dont les membres sont en général passés ou vont passer par les cabinets ministériels, devrait être supprimé ou plutôt réduit à sa seule branche de conseil du gouvernement, le reste de ses compétences revenant au juge judiciaire, et, enfin, le parquet devenir totalement indépendant.

Avec ces réformes, la démocratie française retrouverait sa vigueur et surtout cela éviterait qu’un parti extrémiste dispose, à la suite d’un mouvement de mauvaise humeur du corps électoral, de l’ensemble des leviers du pouvoir. Si Emmanuel Macron est réélu, ce sera sa responsabilité historique d’empêcher que la France puisse un jour sombrer dans l’illibéralisme.

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