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La Rose dans la vallée
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22 décembre 2021

Zemmour en business school : un fascisme cool ?

/La réception du candidat d’extrême droite dans une école de commerce est symptomatique de l’évolution de ces établissements, où l’approche critique est peu encouragée au profit d’une vision économique et marchande de la société, selon le philosophe Benoît Heilbrunn.

par Benoît Heilbrunn, philosophe

Qu’une institution pionnière du marché des écoles de commerce laisse un candidat d’extrême droite pérorer en toute impunité devant un parterre d’étudiants et laisse se diffuser sur les réseaux sociaux un tissu de contre-vérités historiques et d’éructations névrotiques ne doit pas être rangé au rayon des faits divers. Il est temps de prendre conscience que ce fait proprement inacceptable n’est pas seulement un symptôme de plus des passions tristes qui saccagent notre démocratie. Une telle manifestation collective de cynisme articule plusieurs phénomènes dont l’engrenage bientôt incontrôlable doit appeler notre étroite vigilance, si ce n’est notre résistance.

Commençons par la transformation graduelle de toutes les écoles de commerce en business schools. Au commerce des biens et des esprits s’est substituée une religion décomplexée du pognon ; un cynisme marchand qui se cache derrière le paravent d’une raison d’être qui prétend toujours plus ou moins éduquer les citoyens du monde et les leaders de demain. Or la plupart des étudiants de ces écoles ne sont pas exposés durant leur scolarité à un seul cours sur l’éthique ou la déontologie. Toute approche critique est honnie pour promouvoir une pensée molle qui empêche par sa viscosité même de discuter et de réfléchir. Inutile de rappeler que l’idée même de littérature ou de sciences humaines et sociales ne signifie plus rien dans un tel univers éducatif. Et qu’apprend-on au juste dans ces écoles – au-delà des enseignements techniques propres à la gestion des entreprises, si ce n’est ce petit rien que vient recouvrir l’idéologie de la «bullshit economy» si bien décrite par David Graeber.

Relation décomplexée à l’histoire

Il est clair que ces écoles essaient de se débarrasser du savoir, cette guerre contre l’histoire des idées se manifestant très souvent par de subreptices autodafés qui permettent de vider les bibliothèques de leurs ouvrages pour pouvoir les remplacer par des tablettes tactiles, prothèses identitaires des startuppeurs fantasmant une hypothétique entreprise libérée. Exit donc les encyclopédies et vive l’entretien de personnalité ! Ces mêmes écoles qui érigent Elon Musk en nouveau Jean Jaurès diffusent une pseudo-maïeutique qui applique à la lettre ce que disait Marguerite Duras : «Le savoir, c’est ce qu’on vous apprend. La connaissance, c’est ce que vous apprenez par vous-même.» Cette relativité voulue du savoir qui vise à son extermination explique une relation décomplexée à l’histoire.

Dans un tel contexte culturel, il devient possible, voire normal, de proférer des contre-vérités, quitte à flirter avec des idées totalitaires ou nauséabondes. Cette culture de l’entre-soi et du relativisme total conduit naturellement à une forte complaisance – quand ce n’est pas une claire connivence – des milieux économiques avec un candidat qui a fait de la torsion systématique de la vérité historique son arme de combat. Comme si le réel s’évanouissait dans la fiction à mesure que la vérité devenait de plus en plus relative et négociable. Personne ne semble s’étonner ou s’émouvoir qu’un puissant patron soutienne et finance ouvertement un candidat d’extrême droite qui érige sans sourciller le maréchal Pétain en héros des temps modernes. C’est dire à quel point la complaisance silencieuse permet jour après jour au cynisme médiatico-marchand d’étendre son emprise.

Principe humaniste et convivialiste

Et les médias sont bien le point nodal de toute cette affaire, car la culture médiatique avalise la valeur de chaque être à son indice de notoriété et la monétisation possible de son audience. Dans un ordre médiatique qui privilégie l’impact aux dépens du contenu, le message se dissout dans le média et la moindre éructation tient lieu de discours. Dans un tel contexte, le débat ne sert à rien, si ce n’est polariser des opinions établies. Que faire face à la diffusion de ce fascisme cool qui abolit toute dialectique, raréfie le vocabulaire et les arguments et neutralise ainsi toute tentative d’argumentation ? Comme l’on fait des institutions ou des villes comme Londres et Genève, il s’agit de dire tout simplement non à ce qui n’est pas acceptable et met en péril la démocratie, l’éducation et la vie de chacun d’entre nous.

Tout n’est pas permis et dicible dans un espace démocratique, surtout quand on s’arrange avec la vérité. Les institutions et les médias ont une responsabilité dans la diffusion de pensées extrêmes qui s’opposent à tout principe humaniste et convivialiste. Et ce notamment quand les institutions se font instrumentaliser en devenant de simples médias permettant à des tribuns de s’offrir à bon compte une légitimité et un public captif à qui on a ôté tout esprit critique et tout devoir de vigilance. En fin de compte, ne serait-ce pas le rôle de la littérature de former les futurs citoyens aux émotions fondamentales de l’être humain, de comprendre le dégoût, la honte, le refus, la résistance, bref, toutes ces émotions démocratiques qui permettent d’imaginer des possibles, de se préoccuper de la vie de l’autre ?

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