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La Rose dans la vallée
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28 janvier 2021

La petite note d'espoir de la nouvelle pensée économique


Une note d'information de l'Agence européenne pour l'environnement alerte sur les dégâts de la croissance et propose d'autres pistes de réflexion de développement, comme la sobriété. Aujourd'hui, le PIB ne peut plus être l'indicateur de référence.

Par FLORENCE JANY-CATRICE et DOMINIQUE MÉDA, Coprésidentes du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (Fair)

Une note d'information de l'Agence européenne pour l'environnement est passée inaperçue en cette période marquée par la crise sanitaire internationale. Intitulée «Croissance sans croissance économique», elle invite à revoir en profondeur les logiciels de la pensée économique qui ont dominé les cinquante dernières années. Elle rend enfin audible toute une série de travaux de penseuses et de penseurs qui depuis plus de vingt ans alertent sur les dégâts de la croissance et proposent une véritable bifurcation et une conversion de nos cadres idéologiques ainsi que de nos politiques publiques.

Rédigée par une institution légitime et prudente, cette note soulève la chape de plomb qui pesait jusqu'alors sur les débats concernant la croissance et le progrès, corsetés par les théoriciens de la croissance endogène et par les technophiles. Par leur domination institutionnelle et la force de leurs croyances - en particulier dans les prétendues vertus du découplage relatif-, ceux-là ont échoué et ont surtout fait perdre de précieuses décennies à la pensée économique et à sa mise en œuvre dans des politiques alternatives. Rappelons qu'une grande partie de la pensée économique mainstream croit en effet dur comme fer aux vertus du progrès technologique et notamment à la possibilité de trouver indéfiniment de nouveaux substituts aux ressources naturelles nécessaires à nos modes de vie et, d'une manière générale, à la capacité du génie humain - qui n'aurait jamais été pris en défaut - de créer un monde artificiel générant les mêmes doses de satisfaction que le monde naturel. On pense ainsi aux travaux de l'économiste Nordhaus qui - contrairement à ce qu'indique l'obtention du prix dit «Nobel» - a réussi le tour de force de jeter le discrédit sur les alertes des Meadows et de leurs disciples. La note insiste d'ailleurs sur l'urgence des transformations sociétales «radicales» et non plus «incrémentales».

Si l'on sent poindre ici ou là des contradictions dans cette note (le manifeste auquel elle renvoie, «ecomodernist manifesta», est un plaidoyer pro domo pour le développement de l'énergie nucléaire), elle contribue à creuser le sillon de riches réflexions sur les stratégies de sobriété et plus généralement sur les dynamiques post-croissance.

Il va donc peut-être devenir possible, sans passer pour des doux rêveurs ou des incompétents, de débattre des vrais sujets : sans croissance, à quels besoins sociaux répondre ? A quelles productions toxiques - pour l'environnement et la cohésion sociale - renoncer pour que l'absence de croissance ne soit pas synonyme de catastrophe mais au contraire d'amélioration pour tous

? Comment organiser la répartition territoriale des emplois liés à la reconversion écologique - dans le bâtiment, l'agroécologie, le renouvellement des infrastructures, le verdissement des processus industriels? De quels indicateurs alternatifs au PIB devons-nous nous doter pour organiser cette reconversion, la guider, l'évaluer? Quelles nouvelles comptabilités d'entreprise faut-il mettre en place pour que celles-ci s'inscrivent dans cette perspective ? Comment assurer le financement des milliards d'investissement nécessaire au déploiement de cette société post-croissance ? Comment anticiper correctement les mouvements de main-d'œuvre qui ne manqueront pas d'advenir si nous nous engageons vraiment dans la transition écologique ?

Une multitude de travaux contiennent des propositions jusque-là toujours repoussées d'un revers de main par les économistes qui en ont disqualifié le contenu, et surtout par les administrations et les partis au pouvoir qui s'appuient majoritairement sur des modèles et des paradigmes issus de l'économie mainstream. Portées par des chercheuses et des chercheurs convaincu·e·s de la nécessité d'un horizon post-croissance, ces propositions sont une invitation à revoir en profondeur les hypothèses sur lesquelles s'appuie l'économie.

Il est en effet grand temps d'y intégrer les risques de rupture et de non-linéarité sur lesquels les climatologues insistent à raison : les modèles économiques avec lesquels nous travaillons aujourd'hui sont irréalistes. Ils nous entraînent dans le mur, comme notre indicateur de référence, le PIB qui ne peut plus rester notre boussole. Oui, il est temps de tout repenser : la manière dont les humains et les sociétés sont encastrés dans la nature (ils ne sont pas «un empire dans un empire») et sont donc soumis, malgré le génie humain, à un ensemble de lois naturelles ; la finance, qui se fraie un chemin à distance des lois humaines pour accumuler toujours plus sans se soucier des conséquences désastreuses sur les inégalités ; les politiques qui peuvent nous permettre de continuer à bien vivre sans mettre la nature à sac et la planète à feu et à sang, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus nous supporter ; nos disciplines des sciences naturelles mais aussi l'ensemble des sciences humaines et sociales. Il est urgent de repenser la cohérence et la véracité des enseignements dispensés aux futurs citoyens.

Voilà notre espoir : que cette petite note dessille les yeux de tous et nous permette de traiter enfin les vrais sujets, alors que l'urgence est plus grande chaque jour.

Le Forum pour d'autres indicateurs de richesse (Fair) est un mouvement créé en 2008 au moment où Nicolas Sarkozy a mis en place une Commission chargée de réfléchir aux outils de mesure des performances économiques et du progrès social. dont les membres sont les auteurs de plusieurs ouvrages critiques sur la croissance : Adieu à la croissance ; la Mystique de la croissance : Faut-il attendre la croissance ? ; Vers une société post-croissance ; les Nouveaux indicateurs de richesse ...

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