«Libé» a pris connaissance du rapport Rol-Tanguy, qui évalue plusieurs pistes de réflexion concernant l’avenir de ce territoire du Val-d’Oise devant initialement accueillir EuropaCity.
Et maintenant, que faire ? Quelle solution pour le Triangle de Gonesse, ce territoire de l’est du Val-d’Oise qui devait accueillir EuropaCity ? Après qu’Emmanuel Macron a décidé d’enterrer le projet de centre commercial géant en novembre 2019, une mission a été confiée Francis Rol-Tanguy, haut fonctionnaire de l’Equipement, afin de «reconstruire une vision d’avenir pour ce territoire». Avec quels éléments ? «Plusieurs projets coordonnés», un «projet alternatif» ou «un morceau de ville, qui donne envie», répondait alors vaguement l’entourage du chef de l’Etat.
Les élus locaux, toutes étiquettes confondues, qui voulaient croire à la promesse des 10 000 emplois qui devaient être créés avec EuropaCity, ont pris son arrêt comme un coup sur la tête. Les écologistes, qui défendaient le caractère agricole du secteur, ont eux triomphé, tout en rappelant qu’il restait urbanisable, donc menacé. Les propositions du rapport Rol-Tanguy, que Libération s’est procuré, ont été remises en juillet. Ce travail n’a toujours pas été rendu public et les intentions du gouvernement pour ce territoire restent inconnues.
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Chose rare dans les travaux technocratiques de cette nature, les conclusions de Rol-Tanguy donnent acte aux associatifs de la qualité de leur approche. Le rapporteur intègre dans ses scénarios le projet Carma, qui vise à faire du Triangle de Gonesse un laboratoire de la transition agricole, des circuits courts et de la marche vers davantage d’autosuffisance alimentaire en Ile-de-France. Née de l’opposition à EuropaCity, cette recherche est devenue une référence. Parmi les agriculteurs de cette plaine céréalière, très tournée vers l’export, certains sont prêts à entamer une transition si elle est soutenue par les pouvoirs publics. Une mobilisation est organisée dimanche pour soutenir ces projets.
L’hypothèse d’un «Rungis au nord»
Le rapporteur enrichit Carma avec l’hypothèse d’un «Rungis au nord», envisagée par la Semmaris, gestionnaire du marché d’intérêt national (MIN) actuel - le «vrai» Rungis. Il estime que la zone pourrait devenir une sorte de «MIN des circuits courts même s’il ne sera pas que cela». Et ne l’envisage que branché sur un faisceau ferroviaire pour diminuer la noria de camions qui caractérise Rungis.
Enfin, en troisième élément, le rapporteur retient Eurocarex, un projet de «TGV-fret» imaginé par les aéroports de Paris, Lyon, Liège et Amsterdam associés à Fedex. «Il a pour cible de capter une bonne partie du fret aérien même si [en réalité] celui-ci est, pour une bonne part, "camionné" en Europe malgré son label aérien.» Les marchandises pourraient être transportées dans de vieilles rames du TGV Sud transformées.
Bref, les «projets alternatifs» souhaités par l’Elysée existent mais il reste une question épineuse : faut-il construire la gare du Grand Paris Express Triangle-de-Gonesse, prévue sur la ligne 17 entre le Bourget et la zone aéroportuaire de Roissy ? Cet arrêt était la condition sine qua non d’Auchan pour installer EuropaCity. Pas de centre géant, encore besoin d’une gare ? Telle que la ligne 17 est prévue actuellement, Triangle-de-Gonesse verra passer «un train toutes les sept minutes», écrit Francis Rol-Tanguy.
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Afin de sortir de l’alternative, le rapporteur imagine une troisième voie. Il est possible «de créer une ligne 17 bis, qui partirait du Mesnil-Amelot [au-delà de l’aéroport Charles-de-Gaulle, ndlr], irait jusqu’à la gare du Triangle de Gonesse et bifurquerait à ce lieu pour rejoindre la gare de Villiers-le-Bel-Arnouville où une correspondance avec le RER D serait créée». Le rapporteur signale au passage qu’un arrêt devant l’hôpital de Gonesse serait alors possible. Dans l’est du Val-d’Oise, plus de la moitié des personnes ayant terminé leurs études n’ont pas de diplômes qualifiants. Un jeune sur trois est au chômage dans le Grand Roissy. Or le bassin d’emploi de la zone aéroportuaire est inaccessible pour nombre d’habitants, dont les jeunes des cités de Villiers-le-Bel.
Le risque d’une «boîte de Pandore»
D’après les premières estimations de Rol-Tanguy, cette 17 bis représenterait un investissement de 300 millions d’euros (à rapprocher des 35 milliards du Grand Paris Express dans sa totalité). Toutefois, rappelle-t-il, le schéma des quatre lignes du Grand Paris Express «est inscrit dans un décret du Conseil d’Etat». Il reconnaît qu’avec l’ajout d’un tronçon, il y a «un certain risque d’ouverture d’une boîte de Pandore dans laquelle pourraient s’engouffrer toutes les demandes» de changement du schéma.
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Reste une question de fond : dans quelle mesure urbaniser ce foncier agricole et d’ailleurs, faut-il le faire tout court ? Sur les 700 hectares de la zone, le schéma directeur d’Ile-de-France, ratifié en 2013, prévoyait d’en ouvrir 280 hectares à l’urbanisation. Une zone d’aménagement concertée (ZAC) a été votée sur ce périmètre. «Cette ZAC est donc validée juridiquement. Mais ce n’est pas le cas économiquement», estime Rol-Tanguy. L’absence d’EuropaCity annule le modèle économique qui prévoyait que l’Etat, aujourd’hui propriétaire de 110 hectares, en achèterait 180 de plus. Aussi le rapporteur préconise-t-il de s’en tenir à l’urbanisation de 110 hectares «dans la partie nord du Triangle, autour de la future gare du Grand Paris Express», sur du foncier déjà public. «Ce scénario n’a de sens que si la création de la ligne 17 bis est actée dans son principe», ajoute-t-il. Il n’y a plus, pour le gouvernement, qu’à prendre les décisions.