En politique, il y a des classiques. La gauche, par exemple, a pris l’habitude ces dernières années de s’opposer aux monopoles privés. C’est donc sans surprise que toutes les familles qui la composent dénoncent la tentative de rachat hostile de Suez par Veolia, numéro 1 du traitement de l’eau. Mais il y a aussi des idées nouvelles qui infusent. Depuis quelques années, on reparle beaucoup des «communs» à gauche. A savoir des biens, comme l’eau, nécessaires à tous et qui devraient être garantis aux générations futures.

Garantir l'accès

L’idée a émergé chez les écologistes. En 2011, la protection «des biens communs pour répondre aux besoins humains fondamentaux» fait déjà partie des priorités de leur programme d’action. Ils citent l’eau, mais aussi les forêts ou les savoirs. Les Verts répètent qu’ils marchent sur leurs deux jambes : l’une environnementale, l’autre sociale. Dans le cas des communs, il s’agit de préserver une ressource, mais aussi d’en garantir l’accès à chacun. D’où la volonté de protéger le secteur de l’eau des intérêts privés et des profits en favorisant les régies municipales. Aujourd’hui, les mairies peuvent directement gérer ce service ou déléguer sa gestion à un opérateur. Après la réélection du socialiste Bertrand Delanoë en 2008, la capitale avait été une municipalité précurseure en créant Eau de Paris.

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Jean-Luc Mélenchon, qui a fait sa mue écologique, a aussi investi le sujet. En 2017, un des livrets de l’Avenir un commun, le programme de La France insoumise, était dédié à l’eau, ce «bien commun». A l’origine de la brochure : Gabriel Amard, très impliqué dans la «guerre de l’eau» depuis plus de dix ans. Maire de Viry-Châtillon puis président de la communauté d’agglomération des Lacs de l’Essonne jusqu’en 2014, cet ex-socialiste - puis dirigeant du Parti de gauche - a créé la régie publique et sillonné la France pour porter la bonne parole sur les bienfaits d’une telle opération. Mélenchon récolte ainsi le travail semé par son gendre.

En octobre, le chef des insoumis a fait deux déplacements sur le sujet. Le premier dans les Deux-Sèvres, où avait lieu une manifestation contre les retenues d’eau, le second dans le Doubs, pour parler de l’assèchement de la rivière du même nom. A cette occasion, il promettait dans Libération : «Si les insoumis gouvernent le pays, plus une seule goutte d’eau ne sera gérée par le privé. […] Les premiers mètres cubes indispensables pour boire, se laver, cuisiner doivent être gratuits. Mais certains usages doivent être plus chers. Remplir sa piscine devrait coûter davantage que remplir sa carafe.» Pour les communistes, évidemment, «l’eau ne peut et ne doit être considérée comme une marchandise. C’est un bien commun de l’humanité». Les dirigeants du PCF proposent aussi la création d’un «service public national de l’eau».

Gratuité

Les socialistes, de leur côté, viennent de proposer, au Sénat, une proposition de loi «visant à préserver les biens communs indispensables à tous et à les mettre à l’abri de la pure loi du marché». «Biens communs qui ne peuvent être la propriété de personne dès lors que nous en avons tous besoin pour vivre et qu’à ce titre nous devons les protéger et favoriser leur accès pour tous», développent-ils, citant le climat, la biodiversité, l’air, la santé, et l’eau. On retrouve aussi les «communs» dans le nom de la structure qui a porté la candidature d’Anne Hidalgo aux municipales : Paris en commun. «L’idée du Paris des communs, c’est de montrer qu’il y a des formes plus intéressantes que la propriété, comme l’usage», expliquait Emmanuel Grégoire, à l’époque directeur de campagne, désormais premier adjoint de la maire socialiste. Le concept n’est pas un gadget intellectuel. Il suppose un renouveau du logiciel de la gauche. Le projet marxiste abandonné, le courant socialiste longtemps majoritaire a accepté l’économie de marché et la propriété et a opté pour la redistribution. L’idée de commun, surtout quand elle implique la gratuité, vient chambouler tout ça. Fini l’exploitation illimitée des ressources. «Les biens communs deviennent aujourd’hui une alternative tant au capitalisme qu’à l’étatisme», estimait en 2017, dans un entretien à l’Humanité, le sociologue Christophe Aguiton, proche des milieux anticapitalistes. Et si les «communs» devenaient un nouveau projet pour la gauche ?