02 décembre 2020

En marche vers l’autocratie néolibérale

Les médias étrangers ne s’y trompent pas : derrière les discours «visionnaires» des dirigeants français, c’est un tournant autoritaire et très néolibéral qui se met en place, et ce depuis le précédent quinquennat.

Une pratique courante des dirigeants français est de se présenter à l’opinion publique mondiale comme des visionnaires prêts à affronter les plus grands défis planétaires alors que leur pratique politique est en totale contradiction avec ces déclarations. Emmanuel Macron en donne un exemple avec l’interview fleuve donnée à la revue le Grand Continent. Il y présente sa doctrine pour affronter le changement climatique, la question de la biodiversité, les inégalités et la transformation numérique.

Il déclare œuvrer pour un «consensus de Paris» en remplacement du célèbre consensus de Washington, lequel est décrit ainsi : «Réduction de la part de l’Etat, privatisations, réformes structurelles, ouverture des économies par le commerce, financiarisation de nos économies, avec une logique assez monolithique fondée sur la constitution de profits.» Là, on se dit qu’on a dû mal lire parce que c’est exactement le programme qu’il applique depuis qu’il est au pouvoir : privatisation de la Française des jeux et d’Aéroport de Paris, fin du statut des cheminots, allègement de la réglementation protectrice de l’emploi, baisse des cotisations sociales employeurs, réforme des retraites et une politique «de l’offre» fondée sur la vision de l’économie d’un banquier d’affaires.

Quand il rentre dans le détail, ce n’est pas mieux. Quid du changement climatique ? Ce serait «une externalité» qu’il faudrait «remettre dans le marché». Le consensus de Paris agirait en ce sens «avec par exemple le prix carbone, qui n’est pas compréhensible dans le cadre du consensus de Washington, car il implique que quelque chose d’autre que le profit doit être intégré». Ce qu’on peut comprendre de cette formulation alambiquée est tout simplement la façon standard en économie de traiter une externalité, en «l’internalisant» dans le prix. C’est en fait une perspective classiquement néolibérale : une intervention publique pour que le marché fonctionne mieux. Et pour les inégalités, que faire ? «On n’y répond pas par la fiscalité, on y répond en construisant différemment les parcours de vie», nous dit celui qui a allégé la fiscalité sur le capital. Bref, c’est toujours la même inspiration néolibérale.

Quelle est l’utilité politique de ce genre d’exercice ? Si Macron pense soigner son image à l’international, c’est raté. La presse étrangère est remplie d’articles sur la dérive autoritaire du régime. Un récent éditorial du quotidien suisse le Temps se demandait si cette dérive pouvait fragiliser sa base sociale en aliénant la partie la plus modérée. Cette préoccupation n’est pas absente de l’interview de Macron et il indique la façon dont il entend y répondre.

Il voit le «progrès pour les classes moyennes» comme «la base sociologique de nos régimes». Si ces classes moyennes «n’ont plus d’éléments de progrès pour elles-mêmes […] un doute s’installe sur la démocratie». Elles se disent alors : «Puisque je n’ai plus de progrès, pour revenir au progrès pour moi, eh bien il faut soit que je réduise la démocratie et que j’accepte une forme d’autorité, soit que j’accepte de fermer des éléments de frontières parce que ce fonctionnement du monde ne marche plus.» Emmanuel Macron prétend lutter contre cette funeste évolution, mais est-ce si sûr ? Ne dévoile-t-il pas plutôt le principe directeur de sa stratégie politique ?

Le tournant autoritaire et brutal du régime n’est que la continuation d’une tendance déjà très affirmée lors du précédent quinquennat. Le traitement policier des mouvements sociaux a commencé au plus tard avec la répression brutale des manifestations contre la loi travail. Cela n’a pas empêché les «modérés», les classes moyennes éduquées, le bloc bourgeois, de voter en masse pour celui qui était le principal inspirateur de cette loi.

Récemment, le ministre de l’Economie affirmait rejeter une hausse des impôts parce que les Français seraient prétendument contre. Ils sont surtout contre la réforme des retraites que le même ministre voit pourtant comme l’élément central de la politique structurelle du gouvernement. Le programme radical de transformation du modèle socio-économique français, qui implique le démantèlement et la privatisation du système de protection sociale, n’est pas soutenu par une majorité sociale. La mise en œuvre de ce programme s’accompagne inévitablement de tensions auxquelles le pouvoir ne peut faire face que par des atteintes aux libertés publiques. Si les «modérés» rejettent ces atteintes à la démocratie, ce qui reste à prouver (voir leur indifférence aux violences subies par les gilets jaunes), ils doivent s’opposer aux choix de politique économique structurelle dont elles ne sont que la conséquence.

Posté par : Luc Fricot à - Permalien [#]