Bientôt six mois qu’Olivier Faure écope dans un Parti socialiste à fond de cale. Avant la bataille des européennes, au printemps prochain, il espère pouvoir rassembler la gauche sur des «combats communs», prélude à un éventuel rapprochement électoral, et prône une «Europe du concret».

Juste avant de prendre les rênes du PS en avril, vous disiez qu’il fallait prendre tous les risques. Depuis, le PS n’est pas redevenu audible pour autant. Vous trouvez que vous avez pris assez de risques ?

Prendre des risques, cela veut dire accepter un examen critique de notre passé, nous revisiter complètement et faire des propositions pour l’avenir. Et, c’est ce qu’on fait. Par exemple sur la question migratoire. Nous pourrions rester ambigus ou, pire, gonfler notre voile aux vents mauvais du nationalisme ou du populisme. Nous faisons au contraire le choix de propositions qui renouvellent, en le renforçant le droit d’asile en France et en Europe. C’est aussi le risque que prennent avec courage nos maires des grandes villes, de Paris à Nantes, et nos élus, de Bretagne en Occitanie.

Au sein du PS, on entend beaucoup de critiques à votre encontre. Le job de premier secrétaire est-il plus dur que prévu ?

Ce qui est difficile dans cette fonction, ce sont les comportements… Parmi nous, certains agissent comme si nous étions toujours au pouvoir ou dans le bipartisme. Comme si, naturellement, un jour ou l’autre, les responsabilités allaient revenir vers nous, l’opposition. Ce temps est terminé. Je constate que quand on arrête de mettre en scène la vie au sein du PS, nos divisions, nos divergences, nous sommes capables de trouver des accords sur tous les sujets comme la semaine dernière sur notre projet européen.

Ceux qui «théâtralisent» empêchent la renaissance du PS ?

Je ne veux pas parler à la place de ceux qui se livrent à ces jeux obsolètes. J’observe juste que dans les fédérations où je tourne, cette volonté de débattre sur le fond et de dépasser le conflit entre frondeurs et légitimistes existe. Ce que l’on nous demande aujourd’hui est simple : avons-nous encore quelque chose à raconter aux Français et aux Européens ? Ma réponse est catégoriquement oui ! Seule la gauche peut répondre aux défis du XXIe siècle. Pense-t-on sérieusement qu’on peut encore séparer la question environnementale de la question économique ou sociale ? Pense-t-on qu’il n’y a pas aucun lien entre le marché sans régulation, le libéralisme échevelé et la destruction de la planète ?

Les menaces de sécession de l’aile gauche du PS, c’est une défaite pour vous ?

Si chacun monte son club et qu’on se retrouve à 25 partis se faisant concurrence à gauche pendant que les libéraux font front ensemble, alors on n’a rien compris ! Cela reviendrait à dérouler le tapis rouge à nos adversaires. A l’approche des européennes, La République en marche est en chute libre dans les sondages, mais la gauche est tellement fragmentée que le parti d’Emmanuel Macron risque d’apparaître comme le gagnant du scrutin. Ça sert à quoi de crier toute la journée «Macron ça suffit !» si c’est pour créer les conditions de sa réélection ?

D’où votre idée de «combats communs» avec les partis de gauche ?

Exactement. Je crois que la gauche peut de nouveau entraîner une force, que des millions de personnes peuvent nous rejoindre, mais pour cela, il faut mener des combats positifs, volontaires. J’ai proposé trois exemples qui ne devraient pas faire débat entre nous : l’accueil des réfugiés, l’égalité femmes-hommes et l’écologie. Sur ces sujets, nous pouvons, en étant unis, forcer le gouvernement à avancer avant la prochaine présidentielle.

Vos homologues ont topé ?

Jean-Luc Mélenchon et David Cormand m’ont dit leur volonté de me répondre et Pierre Laurent a l’air partant. Nous ne sommes pas d’accord sur tous les sujets. Mélenchon et Faure, ce n’est pas la même chose. Mais nous devons avoir cette capacité à faire front commun sur des sujets d’intérêt général comme nous avons su le faire sur la question démocratique, en déposant ensemble une motion de censure cet été.

Les alliances électorales sont repoussées aux calendes grecques ?

Le but, c’est déjà de retrouver des gauches qui réapprennent à dialoguer, à se respecter et à en finir avec cette idée des gauches irréconciliables qui les condamne à l’impuissance. Aujourd’hui, à gauche, chaque dirigeant se présente comme la solution. En réalité, aucun n’est en capacité de rassembler naturellement la gauche et les écologistes. Cela ne se fera pas derrière un individu, cela se fera derrière une création de contenus.

Pour vous, quels sont les contours de cette éventuelle union de la gauche ? Des écologistes jusqu’à Mélenchon ?

La porte est ouverte à tous ceux qui se sentent concernés. Il ne s’agit pas de construire artificiellement des alliances mais plutôt de bâtir progressivement des convergences. Pas de déclarations d’amour, des preuves d’amour !

Comment faire pour que la gauche se rassemble pour les européennes ?

Je suis ouvert à toutes discussions visant à conclure un accord sur le fond et débouchant éventuellement sur une incarnation commune. Mais je ne vais pas courir après les uns et les autres si cette volonté n’existe pas. Nous, nous nous préparons…

Le PS a adopté la semaine dernière un texte d’orientation qui marque un virage à gauche après le quinquennat Hollande…

Nous ne sommes pas seulement un espace entre Macron et Mélenchon. Pour créer de l’adhésion, il faut se réidentifier. Proposer, montrer ce que nous sommes et ce que nous pouvons apporter.

Avec ce programme plus rouge que rose, on ne voit pas comment Pierre Moscovici, qui incarne une forme de social-libéralisme, pourrait être votre tête de liste…

Ni rose ni rouge : européen, social et écologique. Pierre Moscovici a-t-il la volonté de porter ce projet ? La réponse lui appartient. Mais je ne veux pas entrer prématurément sur le terrain de la personnalisation. Si on commence par parler incarnation, on efface le message collectif. Ma priorité, c’est d’en finir avec la confusion entre droite et gauche qu’entretient à dessein le président de la République. Le débat se limiterait à un affrontement entre pro et anti-Européens, une opposition entre l’Europe telle qu’elle est et celle qu’on défait. C’est un jeu dangereux qui peut nous conduire à la mort de l’UE. L’alternance viendra forcément un jour : les peuples finissent toujours de se fatiguer de ceux qui les gouvernent. Présenter les nationalistes comme la seule force d’alternance est criminel. Les européennes doivent être un référendum pour une autre Europe. Dans ce scrutin, le sortant c’est Emmanuel Macron, c’est son camp politique qui dirige l’UE.

Etre «de droite et en même temps de gauche», comme le dit Macron, nourrit donc le populisme ?

Objectivement, Emmanuel Macron se comporte comme un agent électoral pour les populistes. Viktor Orbán ou Matteo Salvini l’ont très bien compris. Ils se sont choisis comme épouvantails réciproques. Nous, nous défendons une Europe de gauche et écologiste car le libéralisme est à la racine de la crise économique, écologique et démocratique que nous connaissons. Qui ne voit pas les ravages de l’austérité et la montée des inégalités ? Les libéraux ne peuvent être «en même temps» la maladie et le remède. Nous partageons l’idée européenne avec d’autres, mais nous ne voulons pas la même Europe. Emmanuel Macron veut l’Europe-marché dirigée par une technocratie. Nous défendons une Europe-providence, démocratique, sociale et écologique. Sans Europe, pas de possibilité de répondre aux grands défis comme le réchauffement climatique. C’est notre grand désaccord avec Jean-Luc Mélenchon.

Pour parvenir à des avancées concrètes, peut-on en rester aux traités européens actuels ?

Changer les traités ne doit pas être un slogan, tout juste bon à donner de l’urticaire aux dirigeants européens. Il faut prendre les choses dans l’autre sens, celui du concret. Si on veut créer un géant européen de l’énergie, les règles actuelles de l’UE en matière de concurrence nous interdisent de le faire. C’est absurde. Intégrer les investissements en faveur de la transition énergétique dans le calcul du déficit, c’est se condamner à ne pas répondre à l’urgence climatique. Il faut donc modifier les traités en énonçant des projets positifs. Nous ne pouvons pas être les idiots utiles de la mondialisation. Nos règles doivent être le reflet de nos intérêts, pas des règles rigides que nous sommes les seuls à appliquer.

Comment mobiliser les Européens ?

En menant des campagnes transnationales ! Prenez l’idée d’un salaire minimum européen : si on en reste au niveau des gouvernements, ça bloque en effet. Donc, il faut passer par l’opinion publique du continent. Les Espagnols, les Français, les Slovaques n’ont pas tous la même perception de l’UE mais ils ont tous la même perception de leurs intérêts ! C’est un détail mais cela me frappe toujours au Parlement européen que les interventions des députés soient sous-titrées dans leur langue : dans les vidéos, un Français est sous-titré en français. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Pour que les idées se diffusent dans toute l’Union, il faut traduire chaque vidéo dans toutes les langues. Le débat n’est pas européen, c’est la juxtaposition de 27 débats nationaux. Les Européens, ça n’existe pas pour l’instant. Il y a simplement des gens qui vivent dans une sorte de serpent monétaire et juridique reliant les peuples entre eux. Il est temps de changer cela.

Vous qui voulez incarner une «opposition résolue et constructive», que pensez-vous des plans «hôpital» ou «pauvreté» ?

Ce sont des plans de communication ! On parle de 400 millions d’euros par an pour l’hôpital alors que la seule rénovation du CHU de Nantes c’est 1,4 milliard ! Chacun comprend que le compte n’y est pas. Le gouvernement supprime le numerus clausus en pensant que cela va tout régler, mais c’est une illusion si on n’ajoute pas des profs de médecine et des moyens à l’université. Quant au plan pauvreté, le gouvernement nous dit qu’il va mettre 8 milliards d’euros sur quatre ans, mais d’où vient cet argent ? La moitié vient des masses budgétaires réallouées et le reste, c’est le produit de la baisse des APL. Autrement dit, c’est un plan autofinancé par les pauvres. Les Français ne sont pas dupes.

Cela explique la cote de popularité de Macron au plus bas ?

Le temps où les Français se disaient «donnons-lui du temps, faisons-lui confiance» est terminé. Ils semblaient même prêts à accepter que la politique menée soit injuste si elle était efficace, ce qui était le maître mot du candidat Macron. Quinze mois plus tard, où est l’efficacité sur la croissance ? Sur la création d’emplois ? Sur le pouvoir d’achat ? Nulle part. Les acquis du quinquennat précédent sont en train de fondre. Il y a une crise profonde du résultat doublée d’une trahison. En 2017, deux tiers des électeurs d’Emmanuel Macron venaient de la gauche. Ils pensaient voter pour le fils spirituel de Rocard. Ils se retrouvent avec le fils caché de Juppé et Fillon.

Rachid Laïreche , Laure Bretton