Les baby-boomers ont tout eu, et, en plus, ils laissent des dettes ! Comme une table pas débarrassée après de somptueuses agapes ! Il est temps qu’ils se sentent coupables et qu’ils paient pour cela !

Voilà le point de diagnostic dont on voudrait faire le point de réconciliation au-delà des clivages… faire payer les retraités au nom de la solidarité intergénérationnelle. Puisqu’il s’agirait de solidarité, on aimerait y croire. Mais l’histoire qu’on raconte aux grands enfants que nous sommes n’est pas celle que, dans les faits, ce gouvernement écrit.

Les retraités, en effet, auquel le gouvernement fait payer une seconde fois les cotisations qu’ils ont acquittées lorsqu’ils étaient actifs, ont un niveau de vie, certes légèrement supérieur à la moyenne de la population, mais légèrement inférieur à celui des actifs et, en particulier, des actifs en emploi. Cela n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens de traiter les retraités en bloc : il y a des retraités pauvres, il y a des retraités modestes, il y a des retraités aisés, il y a des retraités riches et même à l’ISF. Pour le plus grand nombre, la CSG augmentera dès 1 289 euros de retraite mensuelle, tandis que pour les pensions les plus élevées, avec la flat-tax [taux d’imposition unique, ndlr], la CSG n’augmentera pas…

Mais surtout, dans leur grande majorité, les retraités actuels sont nés entre 1927 et 1957. Des générations qui, pour les plus anciennes, ont connu la guerre, les privations et les années difficiles de l’après-guerre. L’Ined relève une surmortalité pour les hommes nés entre 1941 et 1951 ainsi que pour les femmes nées entre 1941 et 1956. Stigmate d’une génération de privilégiés ? Non.

Et quand bien même les retraités d’aujourd’hui vivraient, pour la plupart, une retraite moins difficile que celle de leurs parents, faudrait-il s’en désoler ? Non, car cela s’appelle le progrès. Et d’ailleurs, si leurs ressources sont supérieures aux générations précédentes, avec la crise qui dure depuis des décennies, les retraités sont largement mis à contribution pour aider leurs enfants et petits-enfants, quand il ne s’agit pas de leurs propres parents dans la dépendance. Et ils n’attendent pas, pour faire preuve de cette solidarité intergénérationnelle que l’on invoque, qu’on les y contraigne.

Pour ma part, je ne me résous pas à l’idée que les générations futures vivront nécessairement moins bien que leurs aînées. Je laisse ce fatalisme aux déclinistes de tout poil, à ceux qui, sans le dire jamais, ont renoncé à une certaine idée du progrès et de la politique. Mais admettons cependant qu’accroître la CSG relèverait de la solidarité intergénérationnelle et acquiesçons, dès lors, à son principe pour créer une allocation d’autonomie pour les jeunes, pour accroître le nombre de places en crèche ou pour augmenter l’allocation de prestation d’accueil du jeune enfant (Paje)… S’agit-il de cela ? Non, la CSG des retraités ne vient pas soutenir les dispositifs en faveur de l’enfance ou de la jeunesse. En même temps que 8 millions de retraités paieront la CSG, 150 000 familles n’auront plus droit à la Paje… La vérité, il faut la chercher derrière les discours, au-delà du marketing politique. Il faut que le travail paie, proclame le gouvernement. Il a raison et je serais tenté d’ajouter, «qu’il paie bien». Mais est-ce vraiment aux retraités de financer les gains de pouvoir d’achat promis aux actifs par le gouvernement, qui augmente la CSG d’un côté pour baisser les cotisations salariales de l’autre ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ce sont les retraités et non les employeurs qui financeront l’augmentation du pouvoir d’achat des actifs. Quand votre employeur vous refuse une augmentation, est-il juste d’aller la prendre dans le porte-monnaie de votre grand-mère ? Bien sûr que non ! Qui dans ces conditions peut croire sérieusement que ce gain de pouvoir d’achat sera durable ? A quoi joue le gouvernement ? La vérité, il faut aller la chercher dans l’étude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale, annexe 10 page 26 : «La baisse du coin fiscalo-social […] va entraîner un ajustement à la baisse des salaires bruts et donc une baisse du coût du travail.» Que faut-il comprendre derrière cette phrase qui aura échappé au plus grand nombre ? Que la hausse de pouvoir d’achat sera bien temporaire, que la priorité va, en réalité, à la baisse du coût du travail. Le pari fait par le gouvernement est clair, on ne saurait d’ailleurs s’en étonner : les salaires n’augmenteront pas dans les années à venir. Chacun sait ce qui va se produire en la matière : les entreprises se sentiront dispensées de procéder aux augmentations annuelles. Lors des négociations salariales, les employeurs pourront dire à leurs salariés : vous avez déjà eu votre augmentation de pouvoir d’achat, vous avez déjà eu les étrennes de votre grand-mère, n’insistez pas.

Les retraités ne paieront donc pas pour les actifs, ils paieront 4,5 milliards d’euros par an pour les entreprises et, si nous n’y veillons pas, pour les dividendes des actionnaires. C’est là la véritable histoire. Après avoir fait les poches des plus pauvres pour remplir celles des plus riches, le gouvernement fait celles des plus âgés pour dispenser les employeurs de mettre la main à la leur… CQFD

Boris Vallaud député Nouvelle Gauche (PS) des Landes