«Je ne me retrouve pas du tout dans Beulin», lâche, en guise d’introduction, un membre d’une FDSEA du nord de la France, qui préfère rester anonyme. Eleveur de vaches, il ne manifestera pas ce jeudi, malgré les SMS de relance de son syndicat. «On nous met la pression pour y aller.», raconte l’agriculteur, qui ne comprend pas comment Xavier Beulin, «un céréalier, à la tête d’un groupe industriel, plus proche de l’agrobusiness que de l’agriculture», a pu devenir président de la FNSEA. Mais au-delà de l’homme, il critique aussi son syndicat qui «s’obstine à défendre un modèle en train de s’effondrer».

«En fait, j’adhère d’abord pour les services administratifs proposés par le syndicat. J’ai par exemple embauché un jeune cet été et la FDSEA s’est occupée de tout. Il y a d’autres choses, comme le groupement d’achat qui donne accès à des prix intéressants, ou les réductions chez des partenaires. C’est comme un club. Voilà la force de la FNSEA ! C’est pour cela que les agriculteurs adhèrent, même s’ils ne se retrouvent pas tous dans ses idées productivistes.

«Concernant la mobilisation organisée depuis le début de la crise par la FNSEA, je ne cautionne pas toutes les actions : les pneus brûlés, les saccages, cela va trop loin, et c’est catastrophique pour l’environnement. En même temps, s’il n’y a pas ces excès, les médias ne s’intéressent pas à nous… Je crois surtout que le combat doit se jouer à l’échelle européenne. On présente toujours les grandes et moyennes surfaces comme les grands méchants, et c’est vrai qu’elles profitent de la situation, de la dérégulation des marchés pour écraser les fournisseurs. Mais c’est à Bruxelles qu’il faut se battre. C’est elle qui a libéralisé l’agriculture en supprimant les quotas et en faisant rêver tout le monde sur les perspectives offertes par la Chine, cet eldorado qui devait absorber tous nos volumes. Sauf que, patatras, tout s’est effondré. Il faut une autre Europe agricole !

«Ce qui est sûr, c’est que si on ne fait rien, il va y avoir des drames. On parle souvent de suicides, mais il faut bien comprendre que c’est une réalité. Il y a quelques temps, la laiterie que je fournis m’a proposé de produire plus. J’ai refusé car je considère que je suis arrivé à une taille d’exploitation pertinente. Mais mes voisins ont accepté et se sont retrouvés dans la spirale infernale de l’investissement et de l’emprunt.

«Les commerciaux invitent aussi les paysans à se moderniser, en achetant toujours plus de matériel.. Et la FNSEA, au niveau national, joue un rôle, par son discours, dans cette course à la modernisation et à l’agrandissement.

«Quand j’étais étudiant en BTS agricole, je me souviens d’un responsable de Doux venu nous voir parce qu’il cherchait des fournisseurs de poulets industriels. Il parlait déjà de la Chine, de l’export. Cela paraissait simple et merveilleux. Il avait eu cette phrase, qui m’a marqué : "Faites du poulet label pour votre assiette, et du poulet industriel pour votre porte-monnaie." On a tellement bassiné les paysans sur le fait que de nouveaux marchés étrangers allaient s’ouvrir. Certains y ont cru ou ont été trop gourmands, et se sont enfoncés dans ce modèle.

«Cette année, je vais perdre 40 000 euros de chiffre d’affaires, mais finalement, je m’en sors plutôt bien avec mes 80 vaches. Je nourris mes bêtes à l’herbe. Du coup, je n’utilise pas de soja, ni de compléments alimentaires. Mais si cela fonctionne, c’est parce que mon exploitation est à taille humaine. Quand le ministre de l’Agriculture explique qu’il veut développer l’autonomie fourragère de la France pour favoriser la consommation de protéines végétales locales, cette stratégie ne marche que si l’on arrête la restructuration en cours poussant à la concentration des exploitations.

«Dans mon département, environ 5 % des éleveurs laitiers disparaissent tous les ans, mais le volume de la production reste le même. On a donc des exploitations de plus en plus grandes. C’est un peu ce que dit la Confédération paysanne, qui plaide, elle, pour le maintien des petites fermes sur le territoire. Je suis allé visiter une ferme en Suède récemment, j’y ai vu des Roumains non déclarés qui travaillaient pour des salaires de misère. En France, on a tellement de contrôles que cela est impensable, et c’est tant mieux.

«Mais si on veut garder notre modèle et la qualité de nos produits, nous devons appliquer la même réglementation à l’import. Au lieu de cela, on va empirer la situation avec la signature du traité transatlantique. Face à tout cela, il faut savoir s’adapter. Moi, je suis fier de ce que je fais, même si je ne gagne pas des mille et des cents. J’aime mon métier. Mais ce n’est pas si simple de lutter, de ne pas céder aux sirènes du productivisme.