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La Rose dans la vallée
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1 juin 2014

Européennes, la chronique de Bruno Frappat (La Croix)

Grandiloquence

Il s’agirait de trouver les mots. Au soir du « séisme » électoral qui a vu la double victoire du Front national et des abstentionnistes, lors d’un débat sur France 2, on a entendu Hubert Védrine affirmer, avec son ton très caractéristique de péremptoire murmurant, que la « grandiloquence » était désormais inutile. Autant pour vendre l’idée de l’Europe aux Français que pour les détourner de la famille Le Pen et de ses acolytes. Il n’avait, selon lui, servi à rien de clamer durant des décennies sa foi en l’Europe, ferment de paix, comme il avait été contre-productif, durant des années, de dénoncer l’extrême droite française.

L’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand, qui ne passe pas pour un tribun, avait-il raison ? Cela faisait un peu mal, pas autant que le résultat des élections, de s’entendre dire qu’il fallait mettre en sourdine ce à quoi l’on adhère, de fondation, et les élans du cœur qui nous détournent spontanément de tout ce qui ressemble à l’extrémisme, à l’intolérance, aux mouvements de menton et à la haine de l’étranger. Quoi ? Il faudrait s’interdire de rappeler d’où vient l’Europe, de quelle histoire saccagée par ses guerres intestines elle est sortie grâce à cette « construction » qui affole les braves gens ? Il faudrait cesser de rêver, de chanter, de faire des phrases autour de ce thème unique : la paix ?

Et donc, parler d’une autre manière aux Français de cette complexe aventure commune qui a des allures de querelle de chiffonniers autour de « crises » insurmontées ? Cesser de s’adresser aux cœurs et s’en tenir aux tripes ou à la raison, selon les publics ? Mais les tripes sont la négation de toute pensée ordonnée et la raison est souvent terne, et peu opérante. Convaincre ne passerait-il plus, sous peine de graves déconvenues, par l’affirmation de ce à quoi l’on croit ? Ni par l’indignation devant les potages servis par les extrémistes et dont l’on n’aurait plus le droit de dire qu’ils sentent mauvais ?

Il a peut-être raison, l’ancien secrétaire général de l’Élysée. Le message des urnes signifie peut-être que nous sommes devenus inaudibles, exaspérants avec nos proclamations rhétoriques, et qu’il faut trouver le ton juste pour évoquer ce que l’on croit juste pour le pays. Pour détourner plus efficacement les concitoyens de ce désaveu grandissant qu’ils expriment vis-à-vis de l’Union du continent et de ce début d’adhésion massive à ce que l’on exècre. Changer de langage, mais cibler quoi, en l’homme ? L’égoïsme que suscitent les difficultés ? Les solutions dures qu’inspirent les peurs ? Le repli, le frileux, le musclé ? Il est douteux que l’on parvienne à faire taire, en soi, les convictions au bénéfice des calculs.

Figures

Le défilé des battus nous a, depuis dimanche 25 mai, fait passer sous les yeux un ballet assez sinistre. Les accablés du suffrage universel avaient l’air d’un cortège de Bourgeois de Calais enchaînés par les résultats, lourds des conséquences de leurs échecs et traînant derrière eux toute la tristesse de la France. Tristes, les socialistes, à l’exception des « opposants » internes au gouvernement, ravis d’arpenter les décombres. Triste, Stéphane Le Foll, dont la crinière avait blanchi en un dimanche. Accablé, et au bord des larmes, avant de quitter le studio comme d’habitude, Jean-Luc Mélenchon, toute faconde abolie. Raide et peu convaincant le premier ministre répétant son programme de gouvernement comme si l’on en était encore à un débat d’investiture. Distant, le chef de l’État affirmant, le lendemain, dans une intervention glaçante, que l’heure était grave et que, donc, on ne changerait rien.

À droite, pas mieux. L’échec, de ce côté-là, ne pouvait pas faire rayonner les visages et même ses porte-parole en oubliaient de dire que la débâcle du pouvoir, la seconde du printemps, était totale quand la leur n’était que relative. Et puis il y eut la séquence Copé, règlement de comptes à « OK-UMP », revanche de ceux qu’il avait humiliés un an avant et qui, d’une voix quasi unanime, lui lançaient un « barre-toi » sans une once de reconnaissance pour la manière dont, quand même, quelques semaines plus tôt il les avait menés à tant de victoires municipales. Mais les « affaires » sont les affaires quand les guillemets s’imposent avec leur cruauté glauque…

Le 25 mai fut un tel « choc » que ses bénéficiaires parurent, parfois, en rester eux-mêmes pantois. Louis Aliot, représentant le FN lors du premier débat organisé sur le plateau de France 2, en restait comme tétanisé, oubliant de triompher, le regard lointain, abasourdi par son bonheur au point qu’il semblait le garder pour lui… Il marinait dans son coin, laissant les autres, tous les autres, à leurs discours embarrassés. Il fut relayé, plus tard dans la soirée, par un Florian Philippot plus disert et combatif. Moins « sonné » par la victoire.

Fautifs

La faute à qui, tout ça ? Qui a fait la courte échelle au Front national et vendu le mieux ses solutions miracles ? Les candidats au palmarès de ce festival des erreurs ne manquent pas. Bien sûr, il y a d’abord la manière dont l’Europe dite « de Bruxelles » prend grand soin, depuis des lustres, de se tenir à l’écart des citoyens. Mais il y a aussi la fourberie des dirigeants de nos nations accusant l’Europe de tous les péchés de l’univers et abritant leur propre incapacité derrière celle du grand méchant loup de la Commission. Il y a ce constant bombardement médiatique sur les travers de « Bruxelles », entretenu à la fois par la gauche et la droite. Cela s’est payé, dimanche.

Ne dissimulons pas la responsabilité de la plupart des médias, dont les dominants, cherchant partout la petite bête ; incapables de pédagogie parce que cela barbe les rédactions ; gourmands devant les pépins et agitant chaque matin leurs sarcasmes antibruxellois ou désignant constamment, comme des procureurs autoproclamés, les avanies et les malfaisances de la « classe politique » en négligeant le fait que les journalistes sont de cette classe-là.

Oui, il faut trouver un autre ton, un autre langage, d’autres manières de s’adresser aux Français. Se rapprocher d’eux sans abuser d’une « proximité » parfois ambiguë. Leur dire qu’on les aime tous, même s’ils votent Front national. Que l’on connaît et comprend leurs difficultés, les causes de leurs colères, l’origine de leurs frousses. Lever le nez des dossiers pour s’enfouir dans le réel de l’existence. Qui, aujourd’hui, possède cette capacité de parler au peuple, à part les bateleurs dont on constate que la malfaisance est plus efficace que nos discours et notre angélisme impotent ?

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