Ce matin, dans le cadre de notre matinée spéciale sur le thème de la demande d’autorité, vous vous interrogez sur la responsabilité des médias…
Oui, après une longue période d’acquisition de l’indépendance de la presse (qui n’est, bien sûr, pas complètement atteinte) nous avons à nous poser la question de l’articulation entre notre liberté de critiquer et le poids des réalités qui pèse sur l’action des hommes politiques.
Le philosophe Pierre-Henri Tavoillot fait une recommandation aux intellectuels et aux politiques que, nous devrions prendre pour nous : il pose la question : « ne devrait-on pas demander aux intellectuels (incluons donc les journalistes) de penser comme s’ils devaient agir et aux hommes politiques d’agir comme s’ils devaient penser »…
On peut souligner une dérive de notre métier qui se vit comme un contre-pouvoir alors qu’il serait devenu (pour prendre le mot de Marcel Gauchet) un « anti-pouvoir ». La presse et les médias seraient devenus uniquement critiques et dévalorisants, pointant les turpitudes et l’impuissance du pouvoir, lui imposant des stratégies de communication qui le détournerait de son rôle initial, ne l’éclairant que sous le jour du cynisme et de l’ambition. Le traitement médiatique de la politique ne laisserait plus aux détenteurs du pouvoir l’oxygène et le temps pour l’exercer sereinement. Nous contribuons sans doute ainsi à la perte d’autorité des politiques.
On se croit un « contre-pouvoir » alors qu’on aurait tendance à être un « anti-pouvoir »… Et pourtant on est plutôt perçu comme complices du pouvoir ?
Oui et c’est bien ce paradoxe qui est la manifestation de notre propre perte d’autorité. La mesure de notre autorité, c’est la crédibilité. Alors la solution serait que l’on retrouve notre rôle de contre-pouvoir non institutionnel et pluraliste… on y vient par exemple avec cette mode salutaire du « fact-checking », de la vérification des affirmations et des actions des politiques.
Mais il faudrait surtout qu’on arrive à arrêter d’imposer aux politiques le rythme effréné de nos métiers voraces et de notre industrie en crise. Nicolas Sarkozy, en multipliant les annonces, pensait nous mener par le bout du nez, irrigant le débat public en fonction des thèmes qu’il choisissait. En réalité, c’est lui qui se pliait à notre rythme et participait ainsi grandement à la perte d’autorité du politique… En surjouant l’autorité, le volontarisme, il a souligné (par contraste avec son action forcément plus lente que ses mots) sa propre impuissance. François Hollande, en assurant d’un ton définitif et péremptoire que le déficit serait réduit à 3% en 2013 et que la courbe du chômage s’inverserait à la fin de l’année, cédait à notre soif de réponses rapides, de résultats visibles, d’affichage immédiat.
L’épaisseur et l’autorité d’un homme d’Etat de l’ère de l’info à haut-débit, se mesure sans doute à sa capacité à résister au rythme médiatique. Notre responsabilité à nous, journalistes, n’est pas d’appliquer une tyrannie du rythme et du temps mais plutôt une tyrannie de la cohérence des politiques, exiger d’eux, non pas des réponses tout de suite et toutes faites, mais d’être au moins honnêtes sur le périmètre réel de leur capacité d’action. C'est-à-dire de leur autorité.