Barbara Cassin, Roland Gori, Christian Laval
Edition Mille et une nuits
Fayard 2009
Demain, lorsque la normalisation des conduites et des métiers régnera définitivement, il sera trop tard. Soin, éducation, recherche, justice seront formatés par la politique du chiffre et la concurrence de tous contre tous. Il ne restera plus à l'information, à l'art et à la culture qu'à se faire les accessoires d'une fabrique de l'opinion pour un citoyen consommateur. Face à de prétendues réformes aux conséquences désastreuses, les contributeurs, psychanalystes, enseignants, médecins, psychologues, chercheurs, artistes, journalistes, magistrats, dressent l'état des lieux depuis leur coeur de métier et combattent la course à la performance qui exige leur soumission et augure d'une forme nouvelle de barbarie. L'Appel des appels prône le rassemblement des forces sociales et culturelles. Il invite à parler d'une seule voix pour s'opposer à la transformation de l'Etat en entreprise, au saccage des services publics et à la destruction des valeurs de solidarité humaine, de liberté intellectuelle et de justice sociale. Il témoigne qu'un futur est possible pour " l'humanité dans l'homme ". Il est encore temps d'agir. L'insurrection des consciences est là, partout, diffuse. La résistance de ces milliers de professionnels et de citoyens qui ont répondu à L'Appel des appels touche nos sociétés normalisées en un point stratégique. En refusant de devenir les agents du contrôl social des individus et des populations, en refusant de se transformer en gentils accompagnateurs de ce nouveau capitalisme, nous appelons à reconquérir l'espace démocratique de la parole et de la responsabilité.
"Nous voulons vivre ensemble dans un monde habitable par tous, à distance des ségrégations et des stigmatisations.
Nous voulons vivre, humains, dans un monde où la logique des choses ne prévaut pas sur la dignité des hommes, sur leur vulnérabilité, leur défaillance, leur faiblesse, lesquelles constituent la grandeur de l'espèce.
Nous ne voulons pas vivre dans un monde en avance sur ses excréments, qui s'arrête à l'ornière de ses résultats au risque d'une politique des choses qui détruit la nature et l'humain.
Au nom de la rationalité technique, au nom de la raison, nous somme devenus déraisonnables.
Au nom d'une idéologie du profit, de la rentabilité et de l'efficacité qui tend à transformer l'humain en marchandises, nous risquons d'anéantir l'humanité dans l'homme.
Au nom de la science, nous finissons par croire à la magie des chiffres comme d'autres civilisations ont cru aux esprits.
A force de vouloir tout contrôler et tout prévenir pour mieux gérer techniquement le monde, nous l'avons rendu malade. Nous avons rendu malades aussi ses habitants en voulant standardiser leur conduite, en contrôlant toujours davantage, les replis de leur intimité.
En oubliant leurs histoires et leurs dialectes, nous avons raboté les singularités et appauvri le patrimoine de l'espèce."